La Topographie de la Terreur est un centre de documentation sur l'histoire de l'Allemagne hitlérienne. Essentiellement informatif, une visite demande de l'attention et du temps.
Une visite à la Topographie de la Terreur vaut le détour
En 2010, Berlin a sobrement inauguré ce centre de documentation sur l'histoire du Troisième Reich, mettant l'accent sur les politiques discriminatoires, l'organisation de la terreur et les crimes de masse initiés et perpétrés par le régime hitlérien.
L'emplacement choisi est hautement symbolique. Le centre est situé sur le site de l'ancien Office central de sûreté du Reich. Sous la direction de Reinhard Heydrich et Ernst Kaltenbrunner, ces lieux étaient devenus le cœur de l'organisation de la terreur national-socialiste en Allemagne, et par extension, en Europe.
Les bâtiments d'origine n'existent plus désormais. Sévèrement endommagés pendant la guerre, leurs ruines ont été abandonnées avant d'être finalement rasées. Des fouilles archéologiques effectuées dans les années 1980 par des universitaires ont permis la redécouverte des vestiges du bâtiment principal. On y retrouve notamment les restes des cellules où les prisonniers étaient torturés par la Gestapo, la police politique de l'époque. Pendant la Guerre Froide, la ligne de démarcation entre l'Est et l'Ouest passait directement devant le site. Ce patrimoine, alors situé au bout du monde, a été tout simplement oublié, voire ignoré par Berlin-Ouest. Un long pan du Mur surplombe toujours le site.
Il serait réducteur de considérer ce lieu comme un simple centre d'études et de recherches sur le régime nazi et ses crimes. L'Allemagne entreprend ici un immense travail d'introspection. Ce travail pousse à l'éducation politique et à la promotion du système démocratique. Le choix d'installer la Topographie de la Terreur à Berlin, ancienne capitale du Reich et ville emblématique de la Guerre Froide, s'inscrit dans le processus entamé par la Réunification. Il marque la volonté des Allemands non pas de tourner la page une fois pour toutes, mais plutôt de faire face à leur passé.
Sobriété, exhaustivité et excellente muséographie
L’espace se compose de trois ensembles aux fonctions et aux formes différentes. Le nouveau bâtiment accueille l’exposition permanente dans un cadre moderne et aéré. A l’aide d’une très riche iconographie, sont retracés les événements tragiques du Troisième Reich depuis l’accession des Nazis au pouvoir jusqu’aux procès d’après-guerre. La muséographie adopte un parcours à la fois chronologique et thématique. On choisit de porter l’accent sur la responsabilité personnelle de l’assassin et du criminel, en privilégiant la perspective du bourreau plutôt que celle de la victime.
En parallèle, les questions organisationnelles permettent de tracer les lignes d’une responsabilité plus collective. L’épilogue traite des ramifications d’anciens nazis et de la querelle des historiens quant aux motivations du régime. Tout ceci permet une mise en perspective plus large et interroge sur le rapport qu’entretiennent les Allemands avec leur passé. On regrettera peut-être la maigreur et quelques facilités d’écriture concernant la partie de l’exposition portant sur les régimes collaborationnistes en Europe.
Un deuxième ensemble se trouve en extérieur, au niveau des vestiges archéologiques. Un chemin de ronde en contrebas passe devant les anciennes cellules de torture. Chaque année, des expositions temporaires sont présentées au public. Les thèmes spécifiques suivent en partie les dates du calendrier historique (2018 : les pogroms antisémites de 1938 ; 2015 : la fin de la guerre en 1945 ; etc.).
Enfin, une vaste partie en extérieur compose le dernier ensemble. Un long chemin traverse les terrains du centre. Ces « jardins » sont recouverts de ballast du genre de celui que l’on trouve sur les voies ferroviaires. Une marche solitaire à travers la désolation, parsemée de quelques panneaux explicatifs sur l’emplacement originel des bâtiments du complexe. Un moment de réflexion personnelle. A la croisée des chemins, un arbrisseau sort de terre.
Un centre de documentation n’est pas un musée
Il est des pans de l’histoire qui par leur ampleur et leurs répercussions deviennent universels. Parfois même, ils posent un point de rupture dans l’évolution des sociétés. C’est le cas avec l’expérience national-socialiste sur laquelle le monde occidental a dû apprendre à se reconstruire. Aussi cette histoire-là ne doit pas rester l’apanage des seuls Allemands car elle appartient à tous. Elle doit être étudiée, enseignée et entretenue. Il s'agit d'aider à l’éducation des citoyens d’aujourd’hui et de demain.
Néanmoins, il convient de mettre en garde contre une appropriation culturelle et économique. La Topographie de la Terreur n'est pas un musée d'histoire sur le national-socialisme. Le site n'a pas vocation à le devenir. Il n'y a pas d'objets curieux à photographier. Aucun objet ou artefact n'est présenté au public. Par ailleurs, la majorité des photographies exposées sont disponibles en ligne, dans les manuels scolaires et les livres d'histoire.
Une visite n'est pas nécessairement requise pour celui qui souhaiterait optimiser son séjour de vacances ou satisfaire une curiosité quelque peu voyeuriste et clichée. La Topographie de la Terreur ne doit pas devenir un lieu de tourisme obscur. Elle reste un lieu d'études et d'éducation civique, comme en témoignent la présence en sous-sol d'une bibliothèque remarquable et celle de groupes scolaires tout aussi remarquables.
Par conséquent, l’une des principales plus-values sera apportée par les guides-conférenciers lors d’une visite qu’il faudra réserver en ligne. Le visiteur autodidacte quant à lui serait bien avisé de se donner le temps suffisant pour réfléchir une fois sur place à ce passé qui lui appartient également.
Atouts
Iconographie exhaustive et de qualité
La force symbolique des espaces
La question des bourreaux mise en perspective
Limites
Absence totale d’interlocuteurs sur place
Afflux toujours plus grand de touristes en périodes de fêtes
Explications disponibles uniquement en allemand et en anglais
Pour aller plus loin
Article sur le rapport des Allemands avec le passé national-socialiste.
Retour sur la "querelle des historiens" : intentionnalité et fonctionnalité.
Le centre de la Topographie de la Terreur propose des visites guidées.
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