Dr Julien Drouart
Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe : le choix de se rappeler
Dernière mise à jour : 1 sept. 2022

A côté du Palais du Reichstag, le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe est sans conteste l'ensemble emblématique principal de la nouvelle identité allemande. De passage à Berlin, nul ne peut ignorer cette œuvre architecturale exceptionnelle. Découvrez le mémorial lors de la visite guidée Les classiques à Mitte !
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe est un incontournable.
En avril 1999, le Parlement allemand célèbre son retour dans le Palais du Reichstag. Il quitte donc Bonn où il trouvait depuis 1949 pour retourner à Berlin. Deux mois plus tard, il décide deux mois plus tard la construction d’un monument à la mémoire des 6 millions de Juifs d’Europe, victimes de l'antisémitisme national-socialiste. Cet acte entérine un épuisant débat surgi après la réunification allemande d’octobre 1990. Elle est surtout un message très fort envoyé aux nations du monde. Ce faisant, l’Allemagne réunifiée refuse tout héritage politique du Troisième Reich.
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe consacre un espace à la mémoire des victimes de la Shoah au cœur même de la capitale. Par ailleurs, il sacralise la nouvelle identité allemande dont l'un des piliers est le travail de repentance par rapport aux crimes passés. Lors des cérémonies d'inauguration, Sabina van der Linden-Wolanski rappelait que les enfants des bourreaux ne pourront jamais être tenus responsables pour les actes de leurs parents. On ne peut juger que le rapport qu'ils entretiennent avec de la mémoire.
Une conception remarquable et intuitive
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe se divise en deux parties bien distinctes. Il adopte en surface une architecture physique extrêmement impressionnante. Un espace gigantesque accueille des milliers de stèles plus ou moins hautes. Le tout forme un ensemble parfaitement cohérent et ordonné. Il compose le totalitarisme, un système dans lequel la raison humaine n’a plus sa raison d’être.
Le concept est novateur. Il laisse le visiteur seul avec ses propres interprétations et représentations. L'approche est déroutante car chacun verra ce que les limites de son imagination permettront. Et nous sommes tous différents. Ce mémorial présente au visiteur un large panel d'émotions, depuis l'indifférence jusqu'à la joie en passant par la peur et l'isolement. Ces émotions étaient celles auxquelles étaient confrontées les victimes de la Shoah.
La partie en surface se complète par un centre de documentation en sous-sol. A l'aide d'apports chronologiques et biographiques, le travail d'histoire s'y effectue de manière intuitive dans un enchaînement remarquablement bien pensé et aménagé.
Lutter contre le déni historique et avancer
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe est indissociable de l'identité allemande. On continuera à venir à Berlin pour observer le travail effectué par les Allemands vis-à-vis d'un passé douloureux et tragique. L'ensemble est un appel à la tolérance et au respect de l'avis d'autrui. Il n'y a pas de déni possible car le mémorial existe. Mais c'est aussi la marque d'une responsabilisation individuelle. Collectivement, les nouvelles générations ont le droit de faire leur propre cheminement. Elles n'ont pas à porter sur leurs épaules le poids des fautes des générations précédentes. En effet, l'ensemble se situe sur l'espace public et reste libre d'accès.
Ce concept sans pareil et cette complémentarité exceptionnelle entre les deux parties font de l'ensemble une très grande réussite. En revanche, l'hommage rendu aux victimes de la Shoah prend un sens tout autre au Mémorial de la Déportation des Juifs de Berlin. L'approche y sera plus intime. Chacun aura sa préférence et les perspectives ne sont pas antagoniques mais bien complémentaires.
Atouts
Une architecture impressionnante
Un concept innovant et remarquable
Accessible à tous et à toutes, qu'importe le bagage intellectuel ou l'expérience
Un appel à la tolérance et au respect de l'avis d'autrui
Limites
Le reflet de notre société qui effraie et fascine
Attention à la cohue aux heures de pointe
Pour aller plus loin
Le site en ligne de la Fondation en charge des mémoriaux aux victimes du Nazisme.
Une "étude psycho-sociologique" sur le mémorial, postulant un paradoxe qu'elle trouvera logiquement ; ou la difficulté de comprendre les formes et buts de la mémoire.
Une remarquable entrevue en allemand avec l'architecte Peter Eisenman, qui explique ce qu'est la liberté de se souvenir.