
À côté du Palais du Reichstag, le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe (Denkmal für die ermordeten Juden Europas) est sans conteste un emblème principal de la nouvelle identité allemande. Lors d'un passage à Berlin, il est impossible d'ignorer cette œuvre architecturale exceptionnelle.
Une visite du Mémorial aux Juifs assassinés est incontournable
En avril 1999, le Parlement allemand célèbre son retour dans le Palais du Reichstag. Il quitte donc Bonn, où il résidait depuis 1949, pour retourner à Berlin. Deux mois plus tard, il décide de la construction d'un monument à la mémoire des 6 millions de Juifs d'Europe, victimes de l'antisémitisme national-socialiste. Cet acte entérine un débat épuisant survenu après la réunification allemande d'octobre 1990. Il constitue surtout un message très fort envoyé aux nations du monde. En agissant ainsi, l'Allemagne réunifiée rejette tout héritage politique du Troisième Reich.
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe consacre un espace à la mémoire des victimes de la Shoah au cœur même de la capitale. Par ailleurs, il sacralise la nouvelle identité allemande dont l'un des piliers est le travail de repentance vis-à-vis des crimes passés. Lors des cérémonies d'inauguration, Sabina van der Linden-Wolanski rappelait que les enfants des bourreaux ne peuvent être tenus responsables des actes de leurs parents. On ne peut juger que le rapport qu'ils entretiennent avec la mémoire.

Une conception remarquable et intuitive
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe se divise en deux parties bien distinctes. En surface, il adopte une architecture physique extrêmement impressionnante. Un espace gigantesque accueille des milliers de stèles de tailles variées. Le tout forme un ensemble parfaitement cohérent et ordonné, symbolisant le totalitarisme, un système dans lequel la raison humaine n'a plus sa place.
Le concept est novateur. Il laisse le visiteur seul face à ses propres interprétations et représentations. L'approche est déroutante car chacun y voit ce que les limites de son imagination permettent. Nous sommes tous différents. Ce mémorial expose au visiteur un large panel d'émotions, allant de l'indifférence à la joie, en passant par la peur et l'isolement. Ces émotions reflètent celles qu'ont pu ressentir les victimes de la Shoah.
La partie en surface est complétée par un centre de documentation en sous-sol. À l'aide d'éléments chronologiques et biographiques, le travail d'histoire s'y effectue de manière intuitive dans un enchaînement remarquablement bien pensé et aménagé.

Lutter contre le déni historique et avancer
Le Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe est indissociable de l'identité allemande. Les visiteurs continueront d'aller à Berlin pour observer le travail effectué par les Allemands en réponse à un passé douloureux et tragique. L'ensemble est un appel à la tolérance et au respect de l'avis d'autrui. Il n'y a pas de déni possible puisque le mémorial existe. C'est aussi la marque d'une responsabilisation individuelle. Collectivement, les nouvelles générations ont le droit de faire leur propre cheminement. Elles n'ont pas à porter le poids des fautes des générations précédentes. En effet, le mémorial se situe sur l'espace public et est libre d'accès.
La complémentarité exceptionnelle entre les deux parties et l'originalité du concept font de l'ensemble une très grande réussite. Cependant, l'hommage rendu aux victimes de la Shoah prend une dimension différente au Mémorial de la Déportation des Juifs de Berlin. L'approche y est plus intime. Chacun aura sa préférence et les perspectives ne sont pas antagonistes, mais bien complémentaires.

Atouts
Architecture impressionnante
Concept innovant et remarquable
Perspective du vide
Accessible à tous et à toutes, qu'importe le bagage intellectuel ou l'expérience
Limites
Reflet de notre société qui effraie et fascine
Attention à la cohue aux heures de pointe
Pour aller plus loin
Le site en ligne de la Fondation en charge des mémoriaux aux victimes du Nazisme.
Une "étude psycho-sociologique" sur le mémorial, postulant un paradoxe qu'elle trouvera logiquement ; ou la difficulté de comprendre les formes et buts de la mémoire.
Une remarquable entrevue en allemand avec l'architecte Peter Eisenman, qui explique ce qu'est la liberté de se souvenir.
Comments