Dr Julien Drouart
Mémorial de l'Armée allemande : une innovation surprenante
Dernière mise à jour : 16 janv. 2022

Une visite au Mémorial de l'Armée allemande est facultative.
Le Mémorial de l'Armée allemande rappelle l'implication militaire du pays sur la scène internationale depuis la Réunification. Il est surtout un hommage sobre et surprenant.
Comprendre la chronologie : 1990, le renouveau allemand
Berlin capitale : quid des Ministères
Le 20 juin 1991, le Parlement entérine la discussion controversée sur le nom de la ville qui sera capitale de la République fédérale d’Allemagne. A courte majorité, Berlin l’emporte contre Bonn. C’est ainsi que la ville s’apprête à accueillir les sièges des ministères, ceux des représentations des Länder et les milliers de fonctionnaires au service de l’État fédéral.
Le déplacement du centre de gravité du pays vers l’Est soulève cependant de nouvelles interrogations cette fois-ci géopolitiques. Elles concernent les relations diplomatiques avec les pays de l’Europe centrale et plus encore l’Union soviétique puis la Russie. Certains ministères jugés stratégiques restent donc à Bonn, notamment le ministère de la Défense.
En 1993, les forces armées allemandes optent pour une représentation secondaire dans la nouvelle capitale. Elles établissent leurs quartiers dans les bâtiments de l’ancienne Marine impériale : le Bendlerblock. Le lieu est d’importance car c’est en ces murs qu’en 1944, un groupe d’officiers allemands fomenta un attentat contre Adolf Hitler.
Un mémorial témoin de l'activité militaire de l'Allemagne
Depuis 1999, l’Allemagne est régulièrement engagée dans des interventions militaires d’envergure sur l’échiquier international. Aussi sera progressivement soulevée la question d’un hommage à rendre aux soldats tombés lors d’opérations au Kosovo, en Afghanistan ou ailleurs. La démarche s’inscrit dans le récit national que le pays souhaite présenter. Il existe également le souci d’offrir aux familles et aux compagnons d’armes la reconnaissance et un espace pour le souvenir. C’est donc à Berlin, capitale de l’Allemagne réunifiée, et non à Bonn, siège premier du ministère, que le Mémorial de l'Armée allemande est inauguré en 2009.
Une architecture sobre au service de l’intime
Situé au cœur du quartier consulaire du Tiergarten, le mémorial jouxte les abords des terrains de parades militaires, à l’arrière du Bendlerblock. L’espace mémoriel à proprement parler se compose d’une halle en béton armé de 32 mètres de long, semi-ouverte, à l’intérieur de laquelle le visiteur peut librement accéder.
De gigantesques armatures en bronze faisant office de revêtement mural reproduisent de manière stylisée des milliers de plaques d’identité militaire. Elles sont de celles que les soldats portent au cou afin qu’ils puissent être identifiés le cas échéant. Perforées dans le métal ocre, des lunes entières et des demi-lunes filtrent la lumière extérieure. Il se crée ainsi des jeux d’ombre magnifiques et un rapport constant entre l’individu et le corps, le soldat et l’armée. Un livre du souvenir, tout en métal, répertorie le nom des défunts par année.
L’intérieur se poursuit avec un promontoire vers la Salle du Silence. La couleur ocre du métal fait place à un noir absolu. Une lucarne surplombe la pièce, laissant une nouvelle fois la lumière s’engouffrer. C’est ici que sont projetés les noms des quelque 3000 militaires et civils de l’Armée allemande morts en service depuis 1945. En 2018, l’inauguration d’un centre de documentation portant sur l’histoire des forces armées allemandes et leur mission actuelle complète l’espace mémoriel.
La place du politique, de l’idéologie et de l’humain
On ne compte plus les critiques formulées à l’encontre du Mémorial de l'Armée allemande. En effet, il est loin de faire l’unanimité. L’emplacement excentré du mémorial était le premier grief. Sa place n’aurait-elle pas dû être face au Palais du Reichstag où siège la représentation nationale ? Cela aurait certainement dénaturé le concept originel à savoir rendre un hommage individuel et non national. En ce sens, le Mémorial de l’Armée allemande n’a pas l’ambition de se substituer à un monument aux Morts traditionnel. Dans ce cas, il s’inscrirait dans une démarche toute autre. En d’autres termes, c’est l’Armée allemande et non la Nation qui honore ses morts.
Une autre critique aura été l’absence de toute contextualisation historique : on énumère les morts sans en donner les causes. Cependant, c’est oublier que le Mémorial de l'Armée allemande n’est pas un musée d’histoire militaire. Plus que l’événement historique, c’est le souvenir de l’individu qui prime ou, à tout le moins, l’esprit de corps. Par ailleurs, le centre de documentation, aussi limité et orienté idéologiquement soit-il, comble en partie cette lacune.
Enfin, certaines critiques regrettent, qu’à l’inverse des mémoriaux et monuments aux morts classiques, les noms ne soient pas gravés dans la pierre, le métal ou le bois mais projetés succinctement sur un mur. Cela sous-entend que l’espace dédié au deuil personnel s’efface devant l’institution. Le concept du mémorial souligne pourtant la brièveté de la vie et l’inexorabilité de la mort. En outre, l’hommage rejette le culte du soldat immortel, éternel. C’est peut-être en cela que le Mémorial de l'Armée allemande se distingue des réalisations traditionnelles.
Au final, la vraie question qui doit animer tout visiteur est la suivante : quelles sont les motivations personnelles, politiques et idéologiques qui l’amèneraient à visiter ou non ce mémorial ? La réponse est individuelle.
Atouts
Une architecture reproduisant le thème de la transparence
Un concept innovant la tradition des hommages militaires
L'intimité renforcée par certains jeux de lumière naturelle
Limites
Un espace limité n'offrant que très peu de visuel
L’absence de panneaux informatifs
Difficile d'accès