Athlète exceptionnel et personnage historique malgré lui, Jesse Owens est le médaillé le plus prolifique des Jeux de 1936 à Berlin. Adolf Hitler aurait-il refusé de lui serrer la main en raison de sa couleur de peau ? Rien n'est moins sûr.
L’athlète prodigue
Né en 1913, Jesse Owens est issu d'un milieu extrêmement modeste. Sa famille très nombreuse compte 10 frères et sœurs. Proche du rachitisme pendant son enfance, il lutte chaque hiver contre la maladie et la précarité.
À l'adolescence, il découvre une passion pour l'athlétisme et s'entraîne entre les cours et le travail. Ses performances lors des championnats interscolaires sont remarquées et il obtient une bourse d'études. Il entre donc à l'Université d'État de l'Ohio, où il poursuit parallèlement une activité professionnelle pour subvenir à ses besoins.
Athlète hors norme, il bat cinq records du monde lors de la principale compétition universitaire le 25 mai 1935. Ses succès retentissants construisent sa notoriété internationale. À 22 ans, il intègre l'équipe olympique américaine qui doit se rendre à Berlin.
Jesse Owens triomphe à Berlin
Aux Jeux olympiques d'été de 1936, Jesse Owens triomphe dans les épreuves du saut en longueur, du 200 mètres, du relais 4 x 100 mètres. Surtout, il remporte l'épreuve-reine, le 100 mètres. Les Olympiades qui devaient consacrer la supériorité raciale de l'Allemagne voient un Noir triompher. Dans sa colère, Adolf Hitler se serait dérobé pour ne pas avoir à le féliciter.
La légende est belle mais elle a été réécrite a posteriori. Le dirigeant allemand avait refusé de se plier au protocole olympique qui réclamait que soient salués tous les athlètes victorieux, indépendamment de leur nationalité. Par conséquent, il ne félicitait plus aucun participant, qu'il soit allemand ou non. Owens n'a donc pas subi l'ostracisme des dirigeants allemands du fait de sa couleur de peau. Bien au contraire. Il était adulé par le public et la presse. Nombreux étaient les spectateurs à se presser aux portes du village olympique dans l'espoir d'obtenir un autographe de l'étoile des Jeux.
La norme raciste
Comment comprendre l’attitude relativement bienveillante du régime hitlérien et de la société allemande à l’égard de Jesse Owens ? Loin d’être en contradiction avec les concepts ethno-raciaux de l'époque, elle est en réalité le signe d’un racisme dit "positif" validant les différences génétiques entre les "races" et les peuples. Les nazis acceptaient et même revendiquaient ces différences. En mars 1933, moins de deux mois après leur accession au pouvoir, ils instaurent un Département de l'Hygiène raciale sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur.
Les concepts ethno-racialistes existaient dans le monde occidental bien avant l'arrivée des Nazis. Mais ces derniers furent les premiers à institutionnaliser la question. Ainsi, chercheurs et idéologues du régime s'accordaient pour associer politique et (pseudo-) science dans une même dynamique. Ainsi, qu’un Noir saute plus loin ou court plus vite qu’un Blanc n'était que la confirmation des inégalités génétiques. Cela ne signifie pas pour autant que les Noirs étaient appréciés en Allemagne nazie. Considérés comme des êtres arriérés, ils étaient destinés à rester aux échelons inférieurs des sociétés humaines ou à l'étude anthropologique. Owens était reconnu pour ses qualités athlétiques, rien de plus.
Le retour à la réalité
À son retour aux États-Unis, Owens fut confronté au racisme dit "négatif", c'est-à-dire à la société ségrégationniste américaine. En effet, les Noirs n’avaient pratiquement aucun droit civique. Le pays vivait sous le régime "Jim Crow", du nom d'une chanson qui ridiculisait les Noirs et leurs mœurs. Le système instaurait la séparation raciale dans l'espace public.
Owens était devenu une légende du sport mais restait un Noir descendant d’esclaves. C'est donc assez naturellement que le président Roosevelt refusa de le recevoir publiquement à la Maison Blanche. Il ne fallait surtout pas froisser l’électorat sudiste profondément raciste. Devenu un héros national dont personne ne voulait, Owens devint une bête de foire. Il participait à des spectacles où il concourait en présence d’animaux. À une époque où le sport était principalement amateur, c'était là le seul moyen pour lui de capitaliser sur sa notoriété pour échapper à la misère.
Par conséquent, il fut banni de la plupart des compétitions sportives ultérieures pour cause de "professionnalisation". Par la suite, il enchaîna les emplois à travers le pays et une vie pleine de rebondissements. Il meurt à l’âge de 66 ans en 1980 des suites d’un cancer du poumon. Il reçoit en 1988 à titre posthume la Médaille d'Or du Congrès.
Un homme ordinaire devenu symbole
La vie de Jesse Owens et ses exploits aux Jeux olympiques de Berlin nous rappellent que l'histoire peut être réécrite pour donner naissance à des mythes fédérateurs, souvent nécessaires à la construction du récit national.
Les quatre médailles d'or remportées en 1936 ne doivent pas occulter le fait que c'est bien l'Allemagne qui triomphe lors des Olympiades. Sur le plan sportif, elle occupe la première place au classement des médailles. D'autre part, les Jeux se déroulent dans une atmosphère bon enfant et avec un professionnalisme inédit qui marquèrent les observateurs de l'époque. Ceux-ci passèrent alors sous silence la terreur et les discriminations dans la société allemande. Enfin, rappelons que les Jeux n'avaient pas pour ambition de valider les thèses racistes sur la supériorité de la "race aryenne", mais de rassembler le peuple autour de son dirigeant. Il s'agissait de donner un sentiment de puissance nationale et d'obtenir la reconnaissance internationale.
Owens était un homme ordinaire qui s'est découvert et affirmé par le sport. La politique ne l'intéressait pas : seul le sport comptait. Se retrouver dans l'effort et se dépasser pour exister. Cet idéal le mena à se lier d'amitié avec son homologue allemand Luz Long, finaliste sur l'épreuve du saut en longueur.
À la convergence de multiples facteurs historiques, Owens est un acteur atypique de son temps. Il était à la fois un athlète phénoménal et un symbole qui le dépasse. À Berlin, il est perçu comme un symbole d'opposition au nazisme, parfois au même titre qu'un Willy Brandt. Depuis 1984, une allée jouxtant le Stade olympique porte son nom.
Pour aller plus loin
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