Dr Julien Drouart
Bunker d'Adolf Hitler : la nécessité de l'oubli
Dernière mise à jour : 8 janv. 2022

Le bunker d'Adolf Hitler n'existe plus. Pourtant, les touristes continuent à le chercher. Et Berlin ne sait plus où donner de la tête. Pour l'oubli, il est inutile de se rendre sur le site.
Une visite au site du bunker d'Adolf Hitler est facultative.
Adolf Hitler est une figure honnie de l’histoire. Il est le principal responsable des crimes perpétrés sous le régime national-socialiste et la domination sur la majeure partie du continent. Il porte la responsabilité de l’extermination des Juifs d’Europe, l’application du plan général de l’Est, l’élimination systématique de toute opposition et du meurtre caractérisé au nom d’un racisme absolu. L’idéologie ne peut être détachée de son application car les principes édictés par Hitler étaient intrinsèquement criminogènes et génocidaires.
Cela paraît un lieu commun de répéter sommairement les crimes du national-socialisme. Pourtant, un tel préambule s’avère nécessaire. Il est des constats historiques qu’il est nécessaire de rappeler car les raccourcis n’ont pas lieu d’être. Les crimes ne sont pas à relativiser et Adolf Hitler et ses compagnons de route n’ont pas de circonstances atténuantes. Le cadre étant posé, évoquons le terrible legs mémoriel du dirigeant allemand à la ville de Berlin.
Un souvenir ineffaçable
Berlin est une ville d’arts et d’histoire offrant aux visiteurs certains circuits préférentiels que ne manquent pas de valoriser les acteurs de l’industrie touristique. Son histoire est celle du 20e siècle et ses drames. La ville endosse tour à tour plusieurs statuts : capitale du Troisième Reich ; symbole de la Guerre Froide ; chute et mort du communisme. Bien que les deux derniers phénomènes soient plus contemporains, ils sont aussi très localisés dans l’espace. D'une certaine manière, ils manquent peut-être de proximité ou d’accessibilité dans l’imaginaire collectif.
L’héritage moral des années du national-socialisme est en revanche de portée universelle. Au travail de justice ont succédé la recherche, le témoignage puis l’éducation et la mémoire. Ce mouvement s’est accompagné d’une accaparation culturelle par la littérature, le cinéma, la peinture, la musique et même le jeu vidéo. Autant de médias qui influent sur le comportement des individus et établissent des repères collectifs.
Catharsis ou tourisme obscur ?
Considérer le Berlin d’aujourd’hui à l’aune de son passé hitlérien est le fait d'une minorité. Par ailleurs, les motivations sont multiples et souvent en opposition.
Dans les années 2010, des personnes septuagénaires ont entamé des « pèlerinages introspectifs ». Elles venaient de France, d’Italie, d’Israël ou d’ailleurs pour marcher sur les traces d’un parent déporté ou emprisonné pendant la guerre. Parfois accompagnées du reste de leur famille, cette épreuve terrible eut pour beaucoup l’effet d’une catharsis et d’une réconciliation. La mémoire était ici entretenue par les deux parties.
Il en est d’autres en revanche pour qui l’affect personnel est absent. Leur démarche suit plus généralement les codes du « tourisme obscur ». Ces personnes souhaitent être confrontées à une réflexion critique qui, éloignée du travail de commémoration, doit leur permettre de définir leur identité notamment morale. Par conséquent, leur démarche privilégie les lieux caractéristiques du crime.
Le « tourisme obscur » s’oppose au travail de mémoire car la dimension éducative est délaissée. Son essence morale s’inscrit dans une logique de devoir de mémoire. Ce phénomène prend tout son sens à Berlin autour du mythe du bunker d’Hitler, Führerbunker.
Désacraliser Hitler ?
Après-guerre, l’ancienne Chancellerie du Reich fut entièrement rasée par les autorités soviétiques. On souhaitait avant tout effacer de l’espace public un symbole du pouvoir hitlérien et empêcher ainsi qu’il devienne ultérieurement un lieu de rassemblement de nostalgiques du régime. Du bunker dans lequel Hitler passa ses derniers jours, il ne reste plus aucune trace. Sur son ancien emplacement se trouvent désormais des barres de lotissement, une aire de jeux pour les enfants, un parking. Le visuel est par conséquent quasi nul.
Pourtant, les participants des circuits touristiques pédestres s’y bousculent quotidiennement, s'y prennent en photo, s'essaient à une plongée dans le passé. Leur présence valorise le lieu, lui donnant une importance que l’histoire même lui a refusé. On pourra également s’interroger sur l’apposition d’une plaque informative rappelant l’événement et détaillant les plans du bunker. Cette mise en scène du vide invite à l’imaginaire, aux référents culturels d’usage (notamment le film La Chute d’Oliver Hirschbiegel) et à la surinterprétation d’un fait historique qui au final perd son authenticité pour s’inscrire dans le divertissement.
A ce titre, un musée privé à Berlin a reconstitué le bureau d’Hitler et propose d’en faire la visite. L’expérience est essentiellement récréative et s’inscrit dans le cadre plus général d’une banalisation. Les détracteurs d’une telle accusation rétorquent que la dédramatisation et la désacralisation de la figure d’Hitler permettent de déconstruire plus facilement son mythe.
La place de l'oubli
Au-delà de l’opposition entre les différentes approches de l’événement historique, le travail de mémoire offre une alternative : l'oubli. L’oubli est en effet une seconde mort et l'oubli est un choix. Berlin a le droit de renoncer au legs hitlérien sans pour autant nier l'existence du fait historique. Autrement dit, cet héritage est oubliable.
Nombre de mémoriaux rendent hommage aux victimes de l'hitlérisme. D'autres abordent la problématique contraire et traitent des bourreaux. La Topographie de la Terreur développe de manière très pédagogique les deux facettes à la fois. Berlin peut laisser à l'histoire le souvenir du lieu de la mort d'Adolf Hitler et n'a pas à en faire la publicité.
Pour aller plus loin
En 2007, le réalisateur suisse David Levy sort la comédie intitulée "Mon Führer : la vraie véritable histoire d'Adolf Hitler". L'accueil est très mitigé.
En 2008, le Musée Madame Tussaud, l'équivalent berlinois du Musée Grévin à Paris, provoque l'émoi en présentant une statue en cire d'Adolf Hitler. La statue sera décapitée par un visiteur, 20 minutes après son inauguration.
En 2016, un musée privé propose une reconstitution du bunker d'Adolf Hitler.