Dr Julien Drouart
Mémorial de la bibliothèque engloutie : le souvenir de l'autodafé nazi
Dernière mise à jour : 14 juil. 2022
Le Mémorial de la bibliothèque engloutie commémore les autodafés hitlériens qui se déroulèrent sur la place. Magnifiquement agencé, ce petit ensemble adopte la discrétion dans l'espace public. Accompagnez-moi lors de la visite guidée Les Classiques à Mitte !
Le Mémorial de la bibliothèque engloutie mérite votre attention.
Dans le cadre de la mise au pas de la société allemande, le régime hitlérien entame dès ses débuts une politique de censure et d'interdits. La régénération physique s'accompagne également d'une régénération morale, à savoir la valorisation de l'identité germanique.
Par conséquent, les idéologues du régime appellent à l'annihilation des écrits jugés subversifs, décadents ou portant atteinte à l'honneur allemand. Les ouvrages visés concernent la littérature marxiste, homosexuelle ou ceux dont les auteurs étaient juifs. Également, on condamne les ouvrages consacrés à la psychanalyse et aux arts présentés comme dégénérés tels le cubisme ou le fauvisme.
Le 10 mai 1933, se déroule sur la place de l'Opéra le plus grand Autodafé de l'histoire de l'Allemagne hitlérienne. Plus de 20.000 œuvres littéraires ou scientifiques furent incinérées. En cette fin d'après-midi, les étudiants de l'Université Humboldt, accompagnés des membres de la SA et la SS vident la bibliothèque universitaire adjacente, signant ainsi la fin de la diversité à Berlin.
Un concept et une réalisation remarquables
L'endroit est charmant, quoique monumental. Différents édifices offrent un très joli visuel, notamment la magnifique cathédrale catholique Sainte-Edwige. Au centre de la place, se cache une dalle en plexiglas. Une salle inaccessible se dessine alors sous les pieds du visiteur. Sur les parois se trouvent des étagères. Elles sont de celles que l'on retrouverait dans n'importe quelle bibliothèque. Cependant, celles-ci ont été vidées de leurs ouvrages. Plus rien n'y sera jamais appris.
En surface, des plaques sur le sol informent sobrement le visiteur de l'événement et reprennent une citation du dramaturge allemand Heinrich Heine. La citation est presque prémonitoire et malheureusement disponible qu'en allemand : "Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes". C'est tout et c'est suffisant.
Un mémorial d'une extraordinaire discrétion
Le Mémorial de la bibliothèque engloutie n'a pas vocation à éduquer le visiteur. Il est ici pour que l'on se souvienne. Il existe mais en plus de cela, il donne aux passants, par sa discrétion et sa sobriété, l'opportunité de poursuivre leur propre cheminement. La place n'est plus celle de l'autodafé de 1933. Elle est désormais au croisement des hôtels, des lieux de culte, des universités et de la culture classique. La vie poursuit son cours : nul n'a besoin de se rappeler constamment et nul n'y est ici contraint. C'est un mémorial d'une grande intelligence.
Chaque année, à l'approche des dates commémoratives de l'événement, une bibliothèque en plein-air sera installée sur la place en mettant à disposition certains des ouvrages qui avaient été à l'époque incinérés.
Atouts
La place de l'interprétation
Une discrétion appréciable et intelligente
Un flux de lumière sortant du sol en début de soirée
Limites
Des informations limitées au strict descriptif et seulement en allemand
Pour aller plus loin
Une perspective journalistique sur les autodafés dans le monde contemporain.
Au sujet de la destruction des œuvres de l'Institut de sexologie de Berlin.
Un excellent article sur Heinrich Heine et les questionnements de son époque.