top of page

Karl-Marx-Allee : le dernier boulevard de l'Europe

Photo du rédacteur: Dr Julien DrouartDr Julien Drouart

Dernière mise à jour : 1 août 2024

Karl-Marx-Allee : le dernier boulevard de l'Europe

La Karl-Marx-Allee est une immense artère traversant l'ancien Berlin-Est depuis Alexanderplatz. Monumentale et impressionnante, son architecture reflète les différentes séquences de la RDA.


La visite de la Karl-Marx-Allee vaut détour


Si les accords de Yalta puis de Potsdam définissaient les secteurs d'occupation des puissances victorieuses en 1945, aucun plan à long terme n'avait été établi. L'Allemagne serait-elle à nouveau un État unifié ou, au contraire, cesserait-elle d'exister ? Le vague autour de la question allemande laissait la porte ouverte aux initiatives alliées et soviétiques sans aucune concertation. Les autorités de Berlin-Est se lancèrent alors dans un projet d'aménagement urbain démentiel avec la construction d'un immense boulevard sur les ruines de la Frankfurter Allee. Ici se trouveront les futurs palais des travailleurs. A la fondation de la RDA à l'automne 1949, l'ensemble en cours d'édification est renommé Stalinallee, en l'honneur du dirigeant soviétique.


Les travaux s'étendent sur plus de deux kilomètres et pendant presque trois décennies. La RDA mobilise tout son potentiel humain et industriel pour réaliser ce qui devait être la vitrine du socialisme et le dernier grand boulevard européen. Après des premiers tronçons très prometteurs, les défauts de fabrication et le changement de période conduisent le régime à opérer un spectaculaire virage architectural. Entre-temps, la déstalinisation efface le nom de Staline et le boulevard est renommé Karl-Marx-Allee, du nom du philosophe allemand. Le fonctionnalisme triomphe dans les années 1970, moins par idéologie qu'en raison des difficultés économiques. Il en ressort un ensemble hybride, peu harmonieux car sans continuité.


Au temps de la RDA, les habitants du quartier étaient majoritairement ouvriers et bien sur locataires. Avec la disparition de l'État est-allemand en 1990, beaucoup découvrent le chômage de masse et sombrent dans la pauvreté. Les expulsions se multiplient et les lieux de sociabilité ferment les uns après les autres. La Karl-Marx-Allee reste une zone sinistrée jusqu'à la fin des années 2010. A la marge des circuits touristiques, le boulevard peine à retrouver son faste d'antan. En attendant une reprise qui ne manquera pas d'arriver, une visite offre un regard différent sur la RDA et la Réunification allemande.

La Frankfurter Tor sur la Karl-Marx-Allee à Berlin.

Monumentalisme et désuétude


Historiquement, la Karl-Marx-Allee s'étend de la place de Strausberg à la porte de Francfort. En pratique, la portion depuis Alexanderplatz et celle se poursuivant vers le district de Lichtenberg se situent dans son prolongement, si bien qu'on peut aisément les associer. On note une évidente disparité socio-économique entre les tronçons. Les premières zones depuis la place de Strausberg sont moins dynamiques, donnant l'impression de traverser une ville fantôme. A l'approche de la porte de Francfort, l'ambiance change sous l'influence des quartiers autour de la Boxhagener Platz et du Rigaer Straße avec une population plus jeune, métissée et internationale.


Le style architectural suit les codes du réalisme socialiste. Imposants et rectilignes, les bâtiments ne sont pourtant pas dénués d'un certain charme. Leurs façades sont recouvertes de céramiques et d'ornements, donnant une étonnante clarté à l'ensemble. Enfin, la largeur du boulevard offre une excellente visibilité et des perspectives souvent spectaculaires. La Karl-Marx-Allee possède un cachet esthétique indéniable. Cependant, l'harmonie est très rapidement troublée par l'apparition d'immenses barres d'immeubles en préfabriqué qui parsèment le boulevard.


De la place de Strausberg au Cinéma Kosmos, les passants sont peu nombreux. Cette longue promenade s'effectue à pied ou à vélo sur les très larges trottoirs situés à bonne distance de la chaussée. Malheureusement, la circulation automobile est assez soutenue car la Karl-Marx-Allee est le principal axe routier entre Alexanderplatz et les districts plus à l'est. En raison de la hauteur des immeubles, l'ensemble crée une caisse de résonance assez bruyante. Au bout du corridor, surgissent les deux tours de la porte de Francfort. Leur style n'est pas sans rappeler les deux églises française et allemande sur le Gendarmenmarkt. En tout cas, il s'oppose à celui plus moderne des deux tours sur la place de Strausberg et dévoile à l'évidence un fascinant manque de cohésion qui s'explique par les aléas politiques en RDA mais aussi en Union soviétique.

Détails des facades sur la Karl-Marx-Allee à Berlin.

Histoire politique et architectures de la RDA


L'Histoire n'est pas linéaire, elle est constituée de séquences sans forcément de lien de causalité. La RDA connaît quatre grandes phases. La première de 1949 à 1961 est le temps de l'enthousiasme révolutionnaire, de l'édification du socialisme et des lendemains qui chantent. Cette séquence se termine brutalement avec le mur de Berlin et la RDA entame alors une phase de normalisation, en termes de consommation ou d'accès au logement. Une troisième période commence au début des années 1980, celle du doute idéologique et de la crise économique, avec l'apparition d'une génération qui n'a pas connu les premiers combats émancipateurs. Enfin, les années 1988-1990 voient la chute et l'effondrement de la RDA : la Révolution pacifique pour l'ouest, le Tournant (Wende) pour l'est.


Initialement, la Stalinallee devait être érigée en l'espace de dix ans. Le projet s'inscrit pleinement dans la première séquence. L'Union soviétique impose non seulement le réalisme socialiste mais encore la planification économique avec deux plans quinquennaux bien trop ambitieux. Malgré les révoltes et les bouleversements politiques, les délais sont respectés. Mais ce succès est au prix de nombreux défauts de fabrication. Dès la fin des années 1950, des travaux de rénovation sont nécessaires pour éviter le détachement des façades. Comble des aléas, l'un des architectes, Hermann Henselmann, se libère des codes du stalinisme et ajoute en 1954 des éléments modernistes et baroques sur les tours de la porte de Francfort. Entre-temps, des immeubles menaçant de s'effondrer sont détruits. Mais ils sont remplacés par des constructions de la deuxième séquence, à savoir ceux de la normalisation. Le réalisme est donc abandonné au profit de barres préfabriquées, beaucoup moins belles mais certainement de meilleure qualité.


La Karl-Marx-Allee est un ensemble architectural complètement bâtard aux influences multiples. En soi, elle est un contre-modèle d'aménagement urbain, à l'encontre des politiques d'embellissement et d'unité de la ville. Elle est aussi l'exemple de l'échec de la planification économique forcée, sans démocratie et sans liberté artistique. Pour l'historien, c'est au contraire un voyage extraordinaire car c'est toute l'histoire et le malheur de la RDA qui apparaît par son architecture. Aujourd'hui, la réhabilitation du quartier se poursuit mais le chantier est gigantesque et la Réunification allemande se fait attendre. Sur les toits des immeubles, on devine l'emplacement des grands slogans à la gloire du socialisme. Les slogans ont disparu mais les échafaudages sont toujours là.

Fresque de la Fraternité des Peuples sur la Karl-Marx-Allee à Berlin.

Atouts

  • Des perspectives impressionnantes

  • Un regard nouveau sur la RDA

  • De très larges trottoirs

Limites

  • Peu d'animations et de commerces

  • Un vide pesant sur la longueur

  • Un effet entonnoir fort bruyant

Commentaires


bottom of page