Le Mémorial du Spiegelwand à Berlin est un ensemble commémoratif rappelant la présence des citoyens juifs du quartier de Steglitz qui ont péri pendant la Shoah. Excellent dans son concept et sa réalisation, il sublime le travail de mémoire.
La visite du Mémorial du Spiegelwand est facultative. C'est aussi un coup de cœur personnel.
Sous l'impulsion de grands penseurs du 18e siècle, au premier rang desquels se trouve Moses Mendelssohn, le judaïsme connaît une profonde révolution théorique qui l'amena sur la voie de l'assimilation. Il ne s'agissait pas de choisir entre deux identités, mais d'embrasser les deux à la fois : Allemand de culture et de confession juive. Malgré les préjugés religieux de l'époque et ceux, plus retors, de l'anthropologie raciale au 19e siècle, les Juifs prenaient leur émancipation et intégraient la communauté nationale.
Cela se traduisit par l'absence, sinon historique, de quartiers strictement juifs en Allemagne. Juifs et non-juifs partageaient une langue commune, portaient les mêmes vêtements modernes, connurent ensemble les champs de bataille de la Première Guerre Mondiale. Des Allemands juifs parvenaient aux plus hautes responsabilités de l'État. Symbole de cette intégration, le culte judaïque était principalement libéral. Au quotidien, il était devenu impossible de distinguer un Juif d'un non-Juif. D'ailleurs, beaucoup ignoraient même être juifs avant que les nazis le leur rappellent.
La synagogue du quartier de Steglitz réchappa aux Pogroms de Novembre 1938, par crainte que son incendie ne gagne les habitations non-juives. Aux persécutions suivirent la déportation et le meurtre. En 1995, est inauguré un mémorial au souvenir des personnes ordinaires mais assassinées parce juives ou considérées comme telles.
Une réalisation ingénieuse et efficace
A l'intersection d'une importante artère commerçante, du réseau ferroviaire et du marché local, une petite place apparaît en retrait. Elle semble complètement vide. Pourtant, d'étranges reflets ondulent dans l'air. En se rapprochant du centre de la place pour mieux observer ce curieux phénomène, un immense mur de 9 mètres de long sur 3,5 mètres de hauteur surgit enfin. Sa surface est recouverte de plaques réfléchissantes qui l'invisibilisent et le confondent dans ce décor quotidien.
Des informations sont inscrites sur l'endroit et l'envers du mur. Elles renseignent sur contexte historique à l'aide d'une chronologie succincte et de quelques photographies et citations de contemporains et de survivants. L'accent reste néanmoins porté sur le local, à savoir le quartier de Steglitz, sa synagogue, son ancienne communauté juive et les personnes mortes en déportation. Fait rare pour être souligner, les prénoms, noms, dates de naissance et adresses de chacune des victimes sont détaillées. L'hommage est autant collectif qu'individuel.
La lecture n'est pas aisée à cause des surfaces réfléchissantes, de la possible luminosité et de l'absence de parc commémoratif. Sans protection, la visite s'effectue debout, au ras du mur et le recueillement est difficile dans cet environnement urbain assez bruyante et fréquenté. Sur le mur, une figure familière apparaît : celle du visiteur que les miroirs reflètent. Cette ingénieuse mise en scène interpelle les vivants, les implique devant les disparus qui ne sont plus des inconnus.
Vivre et se rappeler
Le Mémorial du Spiegelwand à Berlin est une grande réussite. Il est un modèle et une source d'inspiration pour qui s'intéresse aux formes mais plus encore à la place du travail de mémoire dans l'espace public. En dépit de sa taille réduite, il compte parmi les réalisations mémorielles les plus incroyables qui existent dans la capitale allemande. Pour ainsi dire, il s'agit d'une œuvre philosophique.
L'idée d'un mur réfléchissant est excellente. Elle invisibilise la mémoire et permet aux contemporains de poursuivre leur propre cheminement quotidien, sans culpabilité ni devoir de se rappeler. Malgré tout, la vie continue et les générations présentes ne doivent pas porter la responsabilité pour les atrocités passées. Toutefois, elles sont jugées sur la manière dont elles entretiennent la mémoire.
Si oubli il peut y avoir, l'ignorance et le déni ne sont pas des options acceptables : le mémorial est bel et bien là. Mais plus que la Shoah en tant que telle, c'est le souvenir des personnes, qui sont ici identifiées, dont on se rappelle. La Shoah, ce ne sont pas des statistiques, aussi monstrueuses élevées soient-elles. Ce sont les parcours et les vies brisés. Les noms inscrits permettent un hommage personnalisé, plus humain. La découverte de son propre visage sur le mur posé naturellement un regard en miroir qui provoque inconsciemment la projection et l'empathie envers des personnes désormais familières.
Atouts
Une remarquable discrétion
Des victimes nommées
Le jeu des illusions
Limites
Un temps de visite forcément limité
Une lisibilité parfois difficile
L'absence de bancs publics
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